J'réfléchis....
(…) Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"? Demande le petit prince
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..."
- Créer des liens ?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée…
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:
- S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il.
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche: - Ah! dit le renard... Je pleurerai. - C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
- Bien sûr, dit le renard.
- Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
- Bien sûr, dit le renard.
Puis il ajouta:
- Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret.
Le petit prince s'en fut revoir les roses:
- Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il. Personne
ne vous a apprivoisé et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes
comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille
autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au
monde. Et les roses étaient bien gênées. -
Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut
pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire
croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus
importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée.
Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle
que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les
chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est
elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se
taire. Puisque c'est ma rose. Et il revint vers le renard: - Adieu, dit-il... -
Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit
bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. - C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. (...)
Passage du petit Prince, un texte qui fait réfléchir...